Le présent est père du passé plutôt que l'inverse ou tout autant et inextricablement. Et les historiens se rappellent du présent. C'est cette inversion du vecteur, cet autre dessin du temps qui rapproche historiographie et littérature bien plus profondément que le style, ou la posture subjective et sensible naguère strictement interdite au motif de rigueur scientifique, désormais brandie par le moindre littérateur historien.
Je trouve chez Guillaume Lachenal, dans le portrait incomplet, irréductible à une unité compréhensible, le portrait flou et contradictoire d'un personnage, le "docteur Davi", et la rigueur avec laquelle l'historien non seulement donne ses sources et ses méthodes mais surtout passe sa démarche et son point de vue à l'examen critique, fait, à l'intérieur de son récit, l'hypothèse de ses erreurs, de ses oublis, d'un au-delà ou en-deçà de son champ d'appréhension, réflexion passionnante, pour ce qui concerne le récit, sur le modèle de l'archéologie et du statut des vestiges, objets du présent, objets du passé à l'intérieur du présent.
"Les archéologues, écrit Laurent Olivier à la suite de Lewis Binford, ne découvrent pas le passé : d'où qu'ils viennent, de l'Antiquité grecque ou de la Seconde Guerre mondiale, les vestiges archéologiques font partie du monde présent, ici et maintenant, et nous sont contemporains — c'est leur condition d'existence. Les archéologues, par définition, sont des archéologues du présent, dont l'objet est "la matière du passé qui remplit toute entière la masse du présent" (L. Olivier) ; leur connaissance du passé n'est jamais directe ou immédiate mais repose sur la compréhension des transformations matérielles qu'opère aujourd'hui le temps sur les choses." Guillaume Lachenal, Le Médecin qui voulut être roi, Sur les traces de l'utopie coloniale, Seuil, 2017, Ch. I te temi o Tavite (Au temps de David), p. 206, à partir de trois références : Lewis Binford, Laurent Olivier, thèse HDR sur les vestiges, Nancy Hunt sur les objets coloniaux.