Luciano Bolis

Mon grain de sable, Einaudi, 1946, trad. de l’italien par Monique Baccelli, La Fosse aux ours, 1997

Très très intéressant et très horrible récit technique, de son arrestation, en 1945, à Gênes, par les Brigades Noires.

Bolis, longuement torturé, ne voulant pas livrer les hommes dont il a la responsabilité, tente laborieusement de se suicider dans sa cellule avec une lame qu’il a pu récupérer et cacher, et qu’il parvient mal à tenir dans ses mains mutilées à bout de force. Faute de connaissances anatomiques minimales, il se rate, tranchant péniblement sa trachée au lieu de sa carotide, perdant même sa lame à l’intérieur de la trachée, évanoui sans arrêt, il fouille ses chairs pour retrouver sa lame, etc. Il sera retrouvé baignant dans son sang par ses tortionnaires qui l’emmènent à l’hôpital eux-mêmes dans l’espoir de réussir à le faire parler. Il finira par être sauvé et par épouser l’infirmière qui l’a soigné et aidé.

Début de son interrogatoire :

“Un autre, un type apparemment distingué, grand, maigre, visage glacial, veut m’imprimer la “marque de fabrique” comme il l’appelle : il me prend l’oreille gauche entre ses dents, appuie ses mains sur mon épuale pour mieux s’arc-bouter, et tire de toutes ses forces.”

“Je dois dire que mon esprit réagit avec une remarquable rapidité à ce passage à tabac, et aux plus terribles que je subis par la suite. Dès les premiers moments, j’avais appris à relâcher mes articulations pour que les coups s’amortissent sur un fond élastique, atténuant ainsi ma douleur. J’appris aussi à simuler des évanouissements qui me procuraient quelques instants de répit parce que ces messieurs ne s’amusaient plus à me frapper quand ils voyaient que je ne souffrais pas.”

“Ce fut à l’une de ces occasions que je me vis par hasard dans une vitre. J’écarquillai les yeux de terreur. J’aurai toujours sur la rétine l’aspect de l’homme qui m’apparut à ce moment-là. Ce ne pouvait pas être moi, cette grosse face bizarrement ronde et violacée, avec les yeux qui ne s’ouvraient pratiquement pas et les mâchoires incroyablement saillantes à cause de l’enflure du visage.”