Branimir Šćepanović, Le Rachat
1980, trad. du serbo-croate par Jean Descat, L'âge d'homme, 1981.

Ce qui le troublait le plus, c'était ce doute qui le rongeait et l'empoisonnait : il se mettait à douter de lui-même, il était incapable de distinguer le réel de l'imaginaire ; tout s'embrouillait dans sa tête, il ne savait plus ce qu'il fallait faire, il se sentait humilié, il avait par moments l'impression de devenir fou. Pour tâcher de surmonter ce dangereux malaise, il s'efforça d'extirper de sa mémoire les souvenirs d'enfance qui, dans les moments de dépression ou de désespoir, lui faisaient venir des larmes et lui apportaient toujours un soulagement.

Et il vit, avec tout l'éclat exacerbé d'un rêve insolite : la vieille petite église du village, avec son cimetière envahi par les hautes herbes et les ronces ; les sombres micocouliers dont les couronnes pleines d'oiseaux dominaient le clocher incliné […] rétrospective de sa vie, avec accélérations] lui-même vieilli, vingt-trois ans plus tard, embrassant à genoux le sol de son village, tout transporté et en même temps écrasé de douleur.

Mais chose étrange, ces images qu'il faisait revivre pour tâcher de donner le change, ne parvenaient ni à le réjouir ni à l'attrister, comme si elles eussent appartenu à quelqu'un d'autre. […] parmi tous ses actes, il n'en trouvait pas un seul qui eût assez d'importance, assez de prix pour le consoler […]


Les étapes du récit qui s'écarte de lui-même, un voyage nomade qui revient toujours sur ses lieux, toujours différent de ce qu'il a été, toujours fidèle à son trajet, et le salut aux défunts à chaque station du voyage, y compris soi-même, comme défunt.