Gilbert SORRENTINO,
Brooklyn, 1929-2006

     "« La joie de faire une montagne de rien", voici comment le magistral Gilbert Sorrentino, dont trois personnes en France ont entendu parler, auteur de vingt livres, romans, critiques, poésie, tous expériences littéraires limites, et vingt ans enseignant à Stanford, archi-père de la littérature américaine qualifiée de post-moderne par ceux qui savent de quoi il s'agit, voici comment Monsieur Gilbert Sorrentino définit sa propre écriture : « Un souci obsessionnel de la structure formelle, une aversion pour la répétition de l’expérience, l’amour de la digression et de la broderie, un immense plaisir à donner des informations fausses ou ambiguës, le désir d’inventer des problèmes que seule l’invention de nouvelles formes peut résoudre, et la joie de faire une montagne de rien. »

Le principe de discontinuité

     "Les romans de Gilbert Sorrentino ne sont pas des romans, ce sont des ensembles. Il ne construit pas une histoire, il compose un récit qui comprend des récits, des pièces disparates, des fragments. Ses romans sortent de toutes les lignes dont nous avons fait le critère du roman : la chronologie, la psychologie, et la logique causale qui relie l’une à l’autre. Sorrentino signe l’effritement des ciments de la narration, pour un ordre dynamique, fait de circulations, de contacts et d’échos entre des formes ouvertes. La concentration qu’imposent les textes brefs, la tension entre leurs bords donnent à ses livres cette énergie tonique qui caractérise jusqu’à leur phrase. Ce qui n’est pas raconté est actif, le roman se crée dans les intervalles de ses textes, il naît des vides, des reprises, des rappels, de tout ce qui se passe entre ses éléments.

     "Ce refus de servir l’illusion de continuité ouvre à d’autres schémas d’interprétation du réel que ceux inscrits dans les codes du réalisme. Chaque récit est une pellicule soulevée de l’histoire; et la littérature admet la vision complexe d’un réel dont elle adopte l’incertitude. Elle sait qu’elle appartient à un monde plein de trous, insaisissable par la conscience, jamais cerné, où n’existent ni la formule ni la ligne, dont les oubressauts agissent sur le mouvement d’ensemble selon des lois irréductibles à l’intention de faire progresser une narration d’une origine à un terme. Elle exprime une appréhension lacunaire de notre existence, dont nous conservons le souvenir par empreintes, dont le flux continuel n’est qu’une idée théorique, dont l’enchaînement causal n’est qu’une conjecture que nous avons posée. Une telle composition éclate le point de vue, supprime le centre, supprime la perspective qui hiérarchise, elle opère la diffraction, elle crée un récit mutable, démultiplié, irrésolu.

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