Le principe de discontinuité (Gilbert Sorrentino) #3
La littérature de Sorrentino
n’est pas inoffensive

     "Ce qu'exposent les romans de Sorrentino, c'est qu’ils sont des lieux de passage. Passage des ascendances littéraires : Sorrentino écrit Joyce, écrit Flan O’Brien, dont les standards, comme dans le Jazz, sont revisités dans ses œuvres qui en sont à la fois la moquerie et l’hommage. Passage d’un niveau à l’autre de la littérature : des formes noblissimes sont dédiées aux élans humains les plus triviaux, la bêtise, la jalousie, la libido jamais sereine, l’envie. Sorrentino rompt avec le pacte chrétien qui postule que l’homme est bon, c’est-à-dire excusable. C’est un auteur cruel qui délivre peu de « personnages attachants » selon la formule de la presse. Sorrentino décourage la presse et les sentiments. La cruauté fait la vigueur de sa littérature. Ses personnages sont volontiers jeunes ou adolescents, c’est-à-dire dans la condition de l’homme que le réel empêche d’être ce que, par illusion, il croit devoir être. Sorrentino suit l’axe de la bêtise, non pas de la médiocrité bourgeoise que l’artiste prendrait avec hauteur, non, de la bêtise en nous, cet attachement à la terre qui fait la condition humaine, le ridicule de l’homme dont l’existence n’est pas l’étoile singulière qu’il croit voir mais une expérience commune dont il ne perçoit jamais la banalité à cause de son langage impropre à la communication du sensible. Sorrentino dépouille la vie de ses faux semblants, il montre des couples interchangeables, des histoires interchangeables, des personnages interchangeables, dépourvus de la plus petite particule de grandeur. L’homme chez lui est une créature sans salut, livrée aux hommes et à elle-même, que «  l’art ne peut sauver de quoi que ce soit". Ses romans sont des cirques où viennent faire des cabrioles les démons communs à l’humanité.

     "La littérature de Sorrentino n’est pas inoffensive, elle ne prodigue aucun réconfort et ne contribue nullement à la paix ; elle démonte les illusions de l’homme sur lui-même, elle sape les bases du sentimental ou du social qui est désormais la même chose. Mais, bien que l’homme y soit défait, elle n'est pas une littérature de la défaite, les livres de Sorrentino produisent leur sucre, leur énergie jazz, par la pétante, joyeuse, coruscante, désopilante, extravagante vitalité de son écriture.

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